... la culture, en tant que système génératif, constitue un quasi-code culturel, c'est-à-dire une sorte d'équivalent sociologique de ce qu'est le code génétique pour les êtres vivants.
L'homme est un être de désir. Le travail ne peut qu'assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant aux premier. Ceux la ne travaillent jamais.
Finalement, on peut se demander si le problème du bonheur n’est pas un faux problème. L’absence de souffrance ne suffit pas à l’assurer. D’autre part, la découverte du désir ne conduit au bonheur que si ce désir est réalisé. Mais lorsqu’il l’est, le désir disparaît et le bonheur avec lui. Il ne reste donc qu’une perpétuelle construction imaginaire capable d’allumer le désir et le bonheur consiste peut-être à savoir s’en contenter. Or, nos sociétés modernes ont supprimé l’imaginaire, s’il ne s’exerce pas au profit de l’innovation technique.
Lorsque Rimbaud dit:«Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit», il montre qu'il a compris qu'il y a dans le désordre quelque chose sans lequel la vie ne serait que platitude mécanique.
Il résulte de tout cela que ce qui fonde l'effort, le vouloir, l'appétit, le désir, ce n'est pas qu'on ait jugé qu'une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu'une chose est bonne par cela même qu'on y tend par l'effort, le vouloir, l'appétit le désir.
Si tu ne saisis pas le petit grain de folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer. Si tu ne saisis pas son point de démence, tu passes à côté. Le point de démence de quelqu'un, c'est la source de son charme.
Je suis tourmenté par le problème de la sagesse. Dans les temps anciens, on parlait des sages. Aujourd'hui, nous savons que folie et sagesse sont deux pôles de notre vie. Nous ne savons jamais si nous avons été sages...
L'amour est poésie. Un amour naissant inonde le monde de poésie, un amour qui dure irrigue de poésie la vie quotidienne, la fin d'un amour nous rejette dans la prose.
Nous demandons seulement un peu d’ordre pour nous protéger du chaos. Rien n’est plus douloureux, plus angoissant qu’une pensée qui s’échappe à elle-même, des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées,… Nous perdons sans cesse nos idées. C’est pourquoi nous voulons tant nous accrocher à des opinions arrêtées… Mais l’art, la science, la philosophie exigent davantage : ils tirent des plans sur le chaos. Ces trois disciplines ne sont pas comme les religions qui invoquent des dynasties de dieux, ou l’épiphanie d’un seul dieu pour peindre sur l’ombrelle un firmament d’où dériveraient nos opinions. La philosophie, la science et l’art veulent que nous déchirions le firmament et que nous plongions dans le chaos. Nous ne le vaincrons qu’à ce prix.
Je suis effrayé par les automatismes qu'il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d'un enfant. Il lui faudra dans sa vie d'adulte une chance exceptionnelle pour s'évader de cette prison, s'il y parvient jamais.
Méfiez-vous même des actions en apparence les plus généreuses, les plus désintéressées. Si elles ne sont pas motivées par la recherche de la dominance, elles le seront pour le bien-être qu'elles procurent à celui qui les réalise, ou pour être conforme à l'image idéale qu'il se fait de lui-même, dans le cadre culturel où il a grandi.
L'histoire des théologies nous montre que les chefs religieux ont toujours affirmé qu'au moyen de rituels, que par des répétitions de prières ou de mantras, que par l'imitation de certains comportements, par le refoulement des désirs, par des disciplines mentales et la sublimation des passions, que par un frein, imposé aux appétits, sexuels et autres, on parvient après s'être suffisamment torturé l'esprit et le corps, à trouver un quelque-chose qui transcende cette petite vie. Voilà ce que des millions de personnes soi-disant religieuses ont fait au cours des âges ; soit en s'isolant, en s'en allant dans un désert, sur une montagne ou dans une caverne ; soit en errant de village en village avec un bol de mendiant ; ou bien en se réunissant en groupes, dans des monastères, en vue de contraindre leur esprit à se conformer à des modèles établis.
Une société ne fournira que la culture qui la sécurise, celle qui a le moins de chance de la remettre en cause. Elle cherchera toujours, par la culture qu'elle choisit, à diffuser le moyen de créer chez l'individu la structure mentale favorable à sa survie. La culture! Voilà encore un mot qui a tant de sens qu'il est bien près de ne plus en avoir du tout.
Les hommes veulent toujours être le premier amour d'une femme. C'est là leur vanité maladroite. Les femmes ont un sens plus sûr des choses. Ce qu'elles aiment, c'est être le dernier amour d'un homme.
Toute réflexion sur l'avenir nous apporte, plutôt que des certitudes en réponse à nos incertitudes d'avenir, des incertitudes en réponse à nos certitudes présentes.
Les parents [ils] savent, ou croient savoir, que le bonheur est fonction du niveau atteint dans l’échelle hiérarchique, qu’il dépend de la promotion sociale. L’enfant entre donc très tôt dans la compétition. Il doit être premier en classe, bon élève, faire des devoirs, apprendre ses leçons qui toutes déboucheront plus ou moins tôt sur un acquis professionnel.
… la crise d'une pensée politique aveugle qui, soumise à un crétinisme économiste qui dégrade tous les problèmes politiques en questions de marchés, est incapable de formuler aucun grand dessein.
Quand il ne peut plus lutter contre le vent et la mer pour poursuivre sa route, il y a deux allures que peut encore prendre un voilier : la cape (le foc bordé à contre et la barre dessous) le soumet à la dérive du vent et de la mer, et la fuite devant la tempête en épaulant la lame sur l’arrière avec un minimum de toile. La fuite reste souvent, loin des côtes, la seule façon de sauver le bateau et son équipage. Elle permet aussi de découvrir des rivages inconnus qui surgiront à l’horizon des calmes retrouvés. Rivages inconnus qu’ignoreront toujours ceux qui ont la chance apparente de pouvoir suivre la route des cargos et des tankers, la route sans imprévu imposée par les compagnies de transport maritime. Vous connaissez sans doute un voilier nommé « Désir ».
Les sociétés humaines, et singulièrement nos sociétés historiques, ont introduit au coeur de la relation entre humains l'opposition dramatique du "maître et de l'esclave", c'est-à-dire l'asservissement, l'exploitation, l'assujettissement de l'homme par l'homme, et elles nous posent un problème inconnu en ces termes dans le règne vivant et dans toute autre société : celui de l'émancipation au sein et à l'égard de sa propre société, y compris par et dans la transformation de cette société.
La foule tend toujours vers la persécution car les causes naturelles de ce qui la trouble, de ce qui la transforme en turba ne peuvent pas l’intéresser.
La volonté (volonté de puissance) est l'élément différentiel de la force. Il en résulte une nouvelle conception de la philosophie de la volonté ; car la volonté ne s'exerce pas mystérieusement sur des muscles ou sur des nerfs, encore moins sur une matière en général, mais s'exerce nécessairement sur une autre volonté. Le vrai problème n'est pas dans le rapport du vouloir avec l'involontaire, mais dans le rapport d'une volonté qui commande à une volonté qui obéit, et qui obéit plus ou moins.
Il est intéressant de chercher à comprendre les raisons qui font que les hommes s’attachent avec tant d’acharnement à ce concept de liberté. Il faut noter tout d’abord qu’il est sécurisant pour l’individu de penser qu’il peut « choisir » son destin puisqu’il est libre. Il peut le bâtir de ses mains. Or, curieusement, dès qu’il naît au monde, sa sécurisation il la cherche au contraire dans l’appartenance aux groupes : familial, puis professionnel, de classe, de nation, etc., qui ne peuvent que limiter sa prétendue liberté puisque les relations qui vont s’établie avec les autres individus du groupe se feront suivant un système hiérarchique de dominance. L’homme libre ne désire rien tant que d’être paternalisé, protégé par le nombre, l’élu ou l’homme providentiel, l’institution, par des lois qui ne sont établies que par la structure sociale de dominance et pour sa protection.
En somme, il n'y a pas d'humanité sans résistance, et d'abord au mal qui nous habite. C'est le sens spirituel de la notion de jihad, qui signifie littéralement effort, mais qui est en fait un double mouvement de résistance au mal en soi et de réforme de soi vers le bien. Cela n'a rien à voir avec la guerre sainte, mais avec le chemin de l'humanisation et de la paix, car l'humain est humain par sa lutte contre sa part d'ombre.
En fait, l'incompréhension de soi est une source très importante de l'incompréhension d'autrui. On se masque à soi-même ses carences et faiblesses, ce qui rend impitoyable pour les carences et faiblesses d'autrui.
Je pense qu'il faut effectivement cesser de voir l'humanité comme quelque chose de donné, de fixé, mais plutôt comme le produit d'un devenir toujours très ambivalent...
Les sciences humaines ne savent pas qu'elles sont inhumaines, non seulement à désintégrer ce qui est naturellement intégré, mais à ne retenir que le quantitatif et le déterministe.
Ce qui définit la majorité c’est un modèle auquel il faut être conforme. Tandis qu’une minorité n’a pas de modèles, c’est un devenir, un processus. Lorsqu’une minorité crée des modèles, c’est qu’elle veut être majoritaire ou qu’elle est contrainte de se doter d’un « modèle » nécessaire à sa survie (« avoir un statut »).
En un sens donc, il n'a jamais été plus facile de faire rire qu'aujourd'hui. Toutefois, les enjeux sont si élevés et les risques si grands que notre rire ne peut plus être aussi franc et assuré que par le passé. Jamais la nature précaire, instable et "nerveuse" du rire n'a été aussi manifesté. Quand on considère le type de comique actuellement en vogue, il est permis de penser que notre époque ajoute - ou plutôt , révèle - une nouvelle dimension au mot fameux de Molière sur le rire et la création de la comédie : "C'est une étrange entreprise que de faire rire les honnêtes gens."
Je mourrai bientôt, et ce sera en détestant le pays des singes et des tigres, où la folie de ma mère me fit naître il y a bientôt soixante et treize ans.
Nous aurons à réapprendre à voir, à concevoir, à penser, à agir. Nous ne connaissons pas le chemin, mais nous savons que le chemin se fait dans la marche.
Comment espérer cacher à un dieu qui est censé lire à livre ouvert dans les consciences humaines une dissimulation aussi grossière que [le mécanisme victimaire du sacrifice] ? Peut-être ce qu’on attend de ce dieu c’est qu’il ferme les yeux, qu’il se fasse le complice passif de la manœuvre. L’attitude rituelle repose ici sur un mélange de crédulité naïve et de cynisme extrême dont nous ne voyons pas comment ils peuvent coexister.
Tout être humain a un besoin fondamental d'être reconnu. C'est un besoin primaire que l'on retroue aussi bien dans les problèmes de gamins de banlieue que chez tous les dominés et les humiliés, chez les palestiniens...Il faut donc introduire de la reconnaissance.
Lorsque nous rencontrons un corps extérieur qui ne convient pas avec le nôtre, tout se passe comme si la puissance de ce corps s'opposait à notre puissance, opérant une soustraction : on dit que notre puissance d'agir est diminuée et que les passions correspondantes sont de tristesse. Au contraire, lorsque nous rencontrons un corps qui convient à notre nature, on dirait que sa puissance s'additionne à la nôtre : les passions qui nous affectent sont de joie, notre puissance est augmentée ou aidée.
L’Homme est, on peut le supposer, le seul animal qui sache qu’il doit mourir. Ses luttes journalières compétitives, sa recherche du bien-être à travers l’ascension hiérarchique, son travail machinal accablant, lui laissent peu de temps pour penser à la mort, à sa mort. C’est dommage, car l’angoisse qui en résulte est sans doute la motivation la plus puissante à la créativité. Celle-ci n’est-elle pas en effet une recherche de la compréhension, du pourquoi et du comment du monde, et chaque découverte ne nous permet-elle pas d’arracher un lambeau au linceul de la mort ? N’est-ce pas ainsi que l’on peut comprendre qu’en son absence celui qui « gagne » sa vie la perd ?
Aujourd'hui, nous savons que l'histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n'est pas certain et que tout progrès gagné est fragile.
Du reste, le mot élucider devient dangereux si l'on croit que l'on peut faire en toutes choses toute la lumière. Je crois que l'élucidation éclaire, mais en même temps révèle ce qui résiste à la lumière, détecte un fond obscur.