Enseigner sans imposer, donner le goût de jouer à la vie, c'est-à-dire à comprendre puis à découvrir le monde, est sans doute le seul moyen de faire disparaître l'injustice sociale. Montrer les faits sans les déformer, sans leur adjoindre un jugement de valeur, les faits nus, non revêtus par l'épais manteau moralisateur, ne pas surtout présenter la solution temporaire adoptée par une société comme si cette solution était elle-même un fait, un fait indiscutable, alors qu'elle n'est que le camouflage du problème qui pourrait être résolu plus efficacement de façon différente.
Mais la culture est indispensabe pour produire de l'homme, c'est-à-dire un individu hautement complexe dans une société hautement complexe, à partir d'un bipède nu dont la tête va s'enfler de plus en plus.
On dit fréquemment la violence "irrationnelle". Elle ne manque pourtant pas de raisons : elle sait même en trouver de fort bonnes quand elle a envie de se déchaîner.
L'ignorance ne vient pas seulement de la difficulté que certains hommes rencontrent à s'instruire. Elle vient aussi du fait que l'homme ne cherche le plus souvent à connaître que ce qui satisfait ses désirs.
Le mot d’amour se trouve là pour motiver la soumission, pour transfigurer le principe du plaisir, l’assouvissement de la dominance. Je voudrais essayer de découvrir ce qu’il peut y avoir derrière ce mot dangereux, ce qu’il cache sous son apparence mielleuse, les raisons millénaires de sa fortune.
Cette idée s’exprime parfaitement par la douleur que nous ressentons à la perte d’un être cher. Cet être cher, nous l’avons introduit au cours des années dans notre système nerveux, il fait partie de notre niche. Les relations innombrables établies entre lui et nous et que nous avons intériorisées, font de lui une partie intégrante de nous-mêmes. La douleur de sa perte est ressentie comme une imputation de notre moi. […] Ce n’est pas lui que nous pleurons, c’est nous-mêmes.
J’ai reçu [des hommes] plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux.
Aujourd'hui, nous savons que l'histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n'est pas certain et que tout progrès gagné est fragile.
Heinrich disait « il a suffit que deux hommes se haïssent pour que la haine, de proche en proche, gagne tout l'univers. » Et moi, je dis, en vérité il suffit qu'un homme aime tous les hommes d'un amour sans partage pour que cet amour s'étende de proche en proche à toute l'humanité.
Soucieuse de conserver l’approbation de masses laborieuses encore indispensables à la production expansionniste, la société industrielle organise les loisirs, que les masses ingurgitent au commandement, et qui constituent eux-mêmes une nouvelle source de profit, donc de maintien des dominances, tout en détournant l’attention de ces masses des problèmes existentiels fondamentaux. Voilà de quoi est faite la vie quotidienne de millions d’hommes : travail, famille… et loisirs organisés. Bien sûr, personne n’empêche personne de « sublimer » sa vie, de rechercher la « transcendance », d’absorber la culture en place et d’y trouver des compensations à l’absurdité de sa vie quotidienne.
Si tu ne saisis pas le petit grain de folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer. Si tu ne saisis pas son point de démence, tu passes à côté. Le point de démence de quelqu'un, c'est la source de son charme.
Un esprit torturé, dont les ressorts sont brises, qui n'aspire plus qu'à échapper aux difficultés de la vie, qui a rejeté le monde extérieur parce que des disciplines et des conformismes l'ont abêti — un tel esprit, chercherait-il longtemps, ne trouverait jamais que l'image de sa propre déformation.
C’est l’erreur colossale de Nietzsche que de ne pas avoir vu ce qu’implique pour le rapport entre le mythique et le biblique la nature inconsciente du phénomène dit de bouc émissaire. Ce sont les religions sacrificielles qui incarnent l’esclavage sous toutes ses formes, tandis que le biblique et le chrétien conquièrent une vérité et une liberté dont les hommes peuvent faire un très mauvais usage, certes, mais qui les libère à jamais de l’emprise mythologique.
Je suis effrayé par les automatismes qu'il est possible de créer à son insu dans le système nerveux d'un enfant. Il lui faudra dans sa vie d'adulte une chance exceptionnelle pour s'évader de cette prison, s'il y parvient jamais.
Finalement, on peut se demander si le problème du bonheur n’est pas un faux problème. L’absence de souffrance ne suffit pas à l’assurer. D’autre part, la découverte du désir ne conduit au bonheur que si ce désir est réalisé. Mais lorsqu’il l’est, le désir disparaît et le bonheur avec lui. Il ne reste donc qu’une perpétuelle construction imaginaire capable d’allumer le désir et le bonheur consiste peut-être à savoir s’en contenter. Or, nos sociétés modernes ont supprimé l’imaginaire, s’il ne s’exerce pas au profit de l’innovation technique.
Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais l’apprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d’appropriation, de dépendance par rapport à l’image que nous nous faisons de l’autre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à l’autre serait en effet qualifié d’indifférent.
Lorsqu’on a passé trente ans de son existence à observer les faits biologiques et quand la biologie générale vous a guidé pas à pas vers celle du système nerveux et des comportements, un certain scepticisme vous envahit à l’égard de toute description personnelle exprimée dans un langage conscient. Tous les autoportraits, tous les mémoires ne sont que des impostures conscientes ou, plus tristement encore, inconscientes.
Ce n'est pas le mort que nous pleurons, c'est nous-mêmes. Nous pleurons cette partie de lui qui était en nous et qui était nécessaire au fonctionnement harmonieux de notre système nerveux. La douleur "morale" est bien celle d'une amputation sans anesthésie.
L'homme raisonnable s'adapte au monde; l'homme déraisonnable persiste à vouloir adapter le monde à lui-même. C'est pourquoi le progrès ne peut venir que de ce dernier.
Le passé est construit à partir du présent, qui sélectionne ce qui, à ses yeux, est historique, c'est-à-dire précisément ce qui, dans le passé, s'est développé pour produire le présent.
Le paternalisme, le narcissisme, la recherche de la dominance, savent prendre tous les visages. Dans le contact avec l’autre on est toujours deux. Si l’autre vous cherche, ce n’est pas souvent pour vous trouver, mais pour se trouver lui-même, et ce que vous cherchez chez l’autre c’est encore vous.
L'homme est la créature qui ne sait pas quoi désirer et qui se tourne vers les autres afin de se décider. On désire ce que les autres désirent pour la simple raison qu'on imite leurs désirs.
La foule tend toujours vers la persécution car les causes naturelles de ce qui la trouble, de ce qui la transforme en turba ne peuvent pas l’intéresser.
Deux barbaries sont plus que jamais alliées. La barbarie venue du fond des âges historiques qui mutile, détruit, torture, massacre, et la barbarie froide et glacée de l’hégémonie du calcul, du quantitatif, de la technique sur les sociétés et les vies humaines.
Au lieu de participer à une entreprise de libération effective, la psychanalyse prend part à l'œuvre de répression bourgeoise la plus générale, celle qui a consisté à maintenir l'humanité européenne sous le joug de papa-maman, et à ne pas en finir avec ce problème-là.
La beauté est relative, mais surtout elle dépend de l'organisation aussi bien innée qu'acquise de notre système nerveux central. Nous arrivons donc à cette notion, tout empirique d'ailleurs, que la beauté résulte de la cohérence du monde qui nous entoure avec la structure même du système nerveux humain.
Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la suppression du révolté par la généralité anormale qui se croit détentrice de la normalité. Il ne reste plus que la fuite.
Mais la beauté de l'amour, c'est l'interpénétration de la vérité de l'autre en soi, de celle de soi en l'autre, c'est de trouver sa vérité à travers l'altérité.
L'homme est un être de désir. Le travail ne peut qu'assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant aux premier. Ceux la ne travaillent jamais.
En chacun de nous, il y a comme une ascèse, une partie dirigée contre nous-mêmes. Nous sommes des déserts, mais peuplés de tribus, de faunes et de flores. (...) Et toutes ces peuplades, toutes ces foules, n'empêchent pas le désert, qui est notre ascèse même, au contraire elles l'habitent, elles passent par lui, sur lui. (...) Le désert, l'expérimentation sur soi-même, est notre seule identité, notre chance unique pour toutes les combinaisons qui nous habitent.
Si les créations ne sont pas un acquis, ce n'est pas seulement que comme toutes choses, elles passent, c'est aussi qu'elles ont presque toute leur vie devant elles.
Les hommes ont crée des dieux, ils sont nés de nos esprits, et pourtant, à peine nés, nous les supplions, nous les adorons, nous leur léchons le cul et nous tuons s'ils nous demandent de tuer. C'est ça l'humanité ! C'est une chose bizarre.