De toute façon, au milieu des remaniements bouleversants qui s’amorcent au sein de notre société moderne, je suis persuadé que l’histoire d’un homme et sa finalité n’ont aucun intérêt. Il n’était peut-être pas inutile, quand il s’agit de quelqu’un qui essaie de se présenter aux autres sous le couvert d’un prétendu rigorisme scientifique, que ceux qui l’écoutent ou le lisent et risquent d’être influencés par lui, sachent que derrière tout scientifique ou soi-disant tel, se trouve un homme engagé dans la vie quotidienne.
L’essentiel dans le sacrifice c’est de prendre une victime pour une autre. Tout ce qui diminue l’acuité de la perception favorise le succès du breuvage.
La foule précède l'individu. Ne devient vraiment individu que celui qui, se détachant de la foule, échappe à l'unanimité violente. Tous ne sont pas capables d'autant d'initiative. Ceux qui en sont capables se détachent les premiers et, ce faisant, empêchent la lapidation. Cette imitation comporte une dimension authentiquement individuelle. La preuve, c'est le temps plus ou moins long qu'il requiert suivant les individus. La naissance de l'individu est naissance des temps individuels. Aussi longtemps qu'ils forment une foule,ces hommes se présentent tous ensembles et ils parlent tous ensemble pour dire exactement la même chose. La parole de Jésus dissout la foule. Les hommes s'en vont un à un, suivant la différence des temps qu'il faut à chacun pour entendre la Révélation. Comme la plupart des hommes passent leur vie à imiter, ils ne savent pas qu'ils imitent. Même les plus capables d'initiative n'en prennent presque jamais. Pour savoir de quoi un individu est capable, il faut une situation exceptionnelle, telle cette lapidation manquée.
Deux barbaries sont plus que jamais alliées. La barbarie venue du fond des âges historiques qui mutile, détruit, torture, massacre, et la barbarie froide et glacée de l’hégémonie du calcul, du quantitatif, de la technique sur les sociétés et les vies humaines.
Dans le recours aux pratiques orientales... que finit-on tout de même par apprendre? Une certaine distanciation à l'égard de soi-même qu'est le fameux "lâcher prise", un effort pour se désagripper de ce que l'on veut tenir compulsivement dans les mains. C'est également la pratique d'une méditation qui consiste à faire le vide ou le silence en soi. C'est une pratique différente de notre méditation occidentale, qui consiste à réfléchir sur quelque chose, à faire par l'esprit ce que font les différents estomacs de la vache (ruminer, reprendre, transformer).
La volonté (volonté de puissance) est l'élément différentiel de la force. Il en résulte une nouvelle conception de la philosophie de la volonté ; car la volonté ne s'exerce pas mystérieusement sur des muscles ou sur des nerfs, encore moins sur une matière en général, mais s'exerce nécessairement sur une autre volonté. Le vrai problème n'est pas dans le rapport du vouloir avec l'involontaire, mais dans le rapport d'une volonté qui commande à une volonté qui obéit, et qui obéit plus ou moins.
Enseigner sans imposer, donner le goût de jouer à la vie, c'est-à-dire à comprendre puis à découvrir le monde, est sans doute le seul moyen de faire disparaître l'injustice sociale. Montrer les faits sans les déformer, sans leur adjoindre un jugement de valeur, les faits nus, non revêtus par l'épais manteau moralisateur, ne pas surtout présenter la solution temporaire adoptée par une société comme si cette solution était elle-même un fait, un fait indiscutable, alors qu'elle n'est que le camouflage du problème qui pourrait être résolu plus efficacement de façon différente.
On dit fréquemment la violence "irrationnelle". Elle ne manque pourtant pas de raisons : elle sait même en trouver de fort bonnes quand elle a envie de se déchaîner. Si bonnes, cependant, que soient ces raisons, elles ne méritent jamais qu'on les prenne au sérieux. La violence elle-même va les oublier pour peu que l'objet initialement visé demeure hors de sa portée et continue à la narguer. La violence inassouvie cherche et finit toujours par trouver une victime de rechange. A la créature qui excitait sa fureur, elle en substitue soudain une autre qui n'a aucun titre particulier à s'attirer les foudres du violent, sinon qu'elle est vulnérable et qu'elle passe à sa portée.
La connaissance est la voie nécessaire pour arriver à la docte ignorance, celle qui se connaît comme ignorance à partir de sa science, celle qui frémit aux frontières de l'indicible, de l'impensable et où l'invisible nous arrose alors de ses rayons.
La foule tend toujours vers la persécution car les causes naturelles de ce qui la trouble, de ce qui la transforme en turba ne peuvent pas l’intéresser.
Dans le contexte où l’amour est utilisé on peut aussi bien choisir celui de la haine. Il y a autant d’amour dans la haine qu’il y a de haine dans l’amour.
Les hommes veulent toujours être le premier amour d'une femme. C'est là leur vanité maladroite. Les femmes ont un sens plus sûr des choses. Ce qu'elles aiment, c'est être le dernier amour d'un homme.
On reconnait volontiers qu'il y a du danger dans les exercices physiques extrêmes, mais la pensée aussi est un exercice extrême et raréfié. Dès qu'on pense, on affronte nécessairement une ligne où se jouent la vie et la mort, la raison et la folie, et cette ligne vous entraîne. On ne peut penser que sur cette ligne de sorcière, étant dit qu'on n'est pas forcément perdant, qu'on n'est pas forcément condamné à la folie ou à la mort.
Le langage humain ne répond pas seulement à des besoins pratiques et utilitaires. Il répond aux besoins de communication affective. Il permet également de parler pour parler, de dire n'importe quoi pour le plaisir de communiquer avec autrui.
Je dirais que même la science produit de la poésie. Elles a déchiré aujourd'hui le voile d'un univers terriblement mécanique et monotone, qui était un univers purement ordonné, obéissant à des lois qui se répétaient sans cesse. Un univers qui commence par un coup de tonnerre, par un éclair fulgurant, c'est beaucoup plus beau que la Genèse. (..) Je trouve que l'histoire de l'univers est redevenue totalement fabuleuse, avec cette vertu d'être poétique, c'est-à-dire que la création y est mêlée à nouveau à son contraire, la destruction.
Ce qui anime cette recherche, c'est l'horreur de la pensée mutilée/mutilante, c'est le refus de la connaissance atomisée, parcellaire et réductrice, c'est la revendication vitale du droit à la réflexion. C'est la conscience que ce qui nous fait le plus défaut est, non la connaissance de ce que nous ignorons, mais l'aptitude à penser ce que nous savons. C'est enfin et surtout la volonté de substituer à l'euphorie d'une connaissance incapable de se connaitre elle-même la recherche inquiète de la connaissance de la connaissance.
Il ne suffit plus de dénoncer. Il nous faut désormais énoncer. Il ne suffit pas de rappeler l'urgence. Il faut aussi savoir commencer, et commencer par définir les voies susceptibles de conduire à la Voie.
Le passé est construit à partir du présent, qui sélectionne ce qui, à ses yeux, est historique, c'est-à-dire précisément ce qui, dans le passé, s'est développé pour produire le présent.
L'homme est un être de désir. Le travail ne peut qu'assouvir des besoins. Rares sont les privilégiés qui réussissent à satisfaire les seconds en répondant aux premier. Ceux la ne travaillent jamais.
Pas plus chez les premières sociétés néolithiques que chez l'individu n'existe un instinct inné de propriété et de défense du territoire, mais l'apprentissage de la gratification, de la protection de l'équilibre biologique, du plaisir. (...) Notion de propriété et en conséquence recherche de la dominance et agressivité ne paraissent pas dépendre d'une caractéristique innée du système nerveux humain, mais bien au contraire d'un apprentissage conditionné autour du 45e parallèle par la niche ethnologique où certaines ethnies se sont développées.
Cette idée s’exprime parfaitement par la douleur que nous ressentons à la perte d’un être cher. Cet être cher, nous l’avons introduit au cours des années dans notre système nerveux, il fait partie de notre niche. Les relations innombrables établies entre lui et nous et que nous avons intériorisées, font de lui une partie intégrante de nous-mêmes. La douleur de sa perte est ressentie comme une imputation de notre moi. […] Ce n’est pas lui que nous pleurons, c’est nous-mêmes.
Le sacrifice empêche les germes de la violence de se développer. Il aide les hommes à tenir la vengeance en respect. [...] L'hypothèse avancée plus haut se confirme : c'est dans les sociétés dépourvues de système judiciaire et, de ce fait, menacées par la vengeance que le sacrifice et le rite en général doivent jouer un rôle essentiel.
Encore le jeu du pardon ? (Un temps.) C'est un jeu qui m'ennuie : je ne suis pas dans le coup. Je n'ai qualité ni pour condamner ni pour absoudre : c'est l'affaire de Dieu.
Il y a dans notre société carence d'empathie, de sympathie et de compassion, laquelle se traduit par l'indifférence, l'absence de courtoisie entre personnes habitant souvent un même quartier, un même immeuble, alors que dire bonjour à l'inconnu de rencontre signifie qu'on le reconnaît en tant qu'humain digne de sympathie...
C'est toujours par autrui que passe mon désir, et que mon désir reçoit un objet. Je ne désire rien qui ne soit vu, pensé, possédé par un autrui possible.
La cause fondamentale du désordre en nous-mêmes est cette recherche d'une réalité promise par autrui. Nous obéissons mécaniquement à celui qui nous promet une vie spirituelle confortable. Alors que la plupart d'entre nous sont opposés à la tyrannie politique et à la dictature, c'est extraordinaire à quel point nous acceptons l'autorité et la tyrannie de ceux qui déforment nos esprits et qui faussent notre mode de vie.
Philosopher, c'est chercher, c'est impliquer qu'il y a des choses à voir et à dire. Or, aujourd'hui, on ne cherche guère. On «revient» à l'une ou l'autre des traditions, on la «défend».
La Vérité n'a pas de sentier, et c'est cela sa beauté : elle est vivante. Une chose morte peut avoir un sentier menant à elle, car elle est statique. Mais lorsque vous voyez que la vérité est vivante, mouvante, qu'elle n'a pas de lieu où se reposer, qu'aucun temple, aucune mosquée ou église, qu'aucune religion, qu'aucun maître ou philosophe, bref que rien ne peut vous y conduire . alors vous verrez aussi que cette chose vivante est ce que vous êtes en toute réalité : elle est votre colère, votre brutalité, votre violence, votre désespoir. Elle est l'agonie et la douleur que vous vivez. La vérité est en la compréhension de tout cela, vous ne pouvez le comprendre qu'en sachant le voir dans votre vie. Il est impossible de le voir à travers uneidéologie, à travers un écran de mots, à travers l'espoir et la peur.
Je mourrai bientôt, et ce sera en détestant le pays des singes et des tigres, où la folie de ma mère me fit naître il y a bientôt soixante et treize ans.
C'est quand on l'a perdue que l'on comprend ce qu'est la liberté. C'est vrai. Mais il n'y a pas que des prisons avec des barreaux, il y en a de beaucoup plus subtiles dont il est difficile de s'échapper parce qu'on ne sait pas qu'on y est enfermé.
J’ai reçu [des hommes] plus de choses par le livre que par la poignée de main. Le livre m’a fait connaître le meilleur d’eux-mêmes, ce qui les prolonge à travers l’Histoire, la trace qu’ils laissent derrière eux.
Ce qui définit la majorité c’est un modèle auquel il faut être conforme. Tandis qu’une minorité n’a pas de modèles, c’est un devenir, un processus. Lorsqu’une minorité crée des modèles, c’est qu’elle veut être majoritaire ou qu’elle est contrainte de se doter d’un « modèle » nécessaire à sa survie (« avoir un statut »).
Lorsque Rimbaud dit:«Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit», il montre qu'il a compris qu'il y a dans le désordre quelque chose sans lequel la vie ne serait que platitude mécanique.
Finalement, on peut se demander si le problème du bonheur n’est pas un faux problème. L’absence de souffrance ne suffit pas à l’assurer. D’autre part, la découverte du désir ne conduit au bonheur que si ce désir est réalisé. Mais lorsqu’il l’est, le désir disparaît et le bonheur avec lui. Il ne reste donc qu’une perpétuelle construction imaginaire capable d’allumer le désir et le bonheur consiste peut-être à savoir s’en contenter. Or, nos sociétés modernes ont supprimé l’imaginaire, s’il ne s’exerce pas au profit de l’innovation technique.
C'est l'inconscience de nos déterminismes qui nous fait croire à notre conscience comme à notre liberté. Le terme de conscience devrait sans doute être réservé à la conscience de notre inconscience, à la conscience du fait que nous sommes entièrement enchaînés à notre substratum biologique et à notre environnement social.
Les compte rendus mythiques représentent les victimes de la violence collective comme coupables. Ils sont tout simplement faux, illusoires, mensongers. Les compte rendus bibliques et évangéliques représentent ces mêmes victimes comme innocentes. Ils sont essentiellement exacts, fiables, véridiques.
Mais la culture est indispensabe pour produire de l'homme, c'est-à-dire un individu hautement complexe dans une société hautement complexe, à partir d'un bipède nu dont la tête va s'enfler de plus en plus.
Il y a plusieurs façons de fuir. Certains utilisent les drogues dites « psychotogènes ». D’autres la psychose. D’autres le suicide. D’autres la navigation en solitaire. Il y a peut-être une autre façon encore : fuir dans un monde qui n’est pas dans un monde, le monde de l’imaginaire.
L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part.
Je suis un droitier gauchiste?: droitier parce que j’ai un sens très aigu du respect des libertés, mais en même temps gauchiste, dans le sens où j’ai la conviction que notre société requiert des transformations profondes et radicales. Je suis devenu un conservateur révolutionnaire. Il faut tout révolutionner, mais en conservant les trésors de notre culture.
Dans la perception nous ne pensons pas l'objet et nous ne nous pensons pas le pensant, nous sommes à l'objet et nous nous confondons avec ce corps qui en sait plus que nous sur le monde, sur les motifs et les moyens qu'on a d'en faire la synthèse.
Il n'est pas aisé de détruire un idole : cela requiert autant de temps qu'il en faut pour la promouvoir et l'adorer. Car il ne suffit pas d'anéantir son symbole matériel, ce qui est simple ; mais ses racines dans l’âme.
En fait, l'incompréhension de soi est une source très importante de l'incompréhension d'autrui. On se masque à soi-même ses carences et faiblesses, ce qui rend impitoyable pour les carences et faiblesses d'autrui.
La seule objectivité acceptable réside dans les mécanismes invariants qui régissent le fonctionnement de ces systèmes nerveux, communs à l’espèce humaine. Le reste n’est que l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, celle que nous tentons d’imposer à notre entourage et qui est le plus souvent, et nous verrons pourquoi, celle que notre entourage a construit en nous.
Si tu ne saisis pas le petit grain de folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer. Si tu ne saisis pas son point de démence, tu passes à côté. Le point de démence de quelqu'un, c'est la source de son charme.
Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, tant qu’on ne leur aura pas dit que, jusqu’ici, ça a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chances qu’il y ait quelque chose qui change.
Certains […] tuent et acceptent de mourir pour que, dans l’immobilité mortelle, quelque chose arrive, se mette à vivre, à bouger, à questionner, à déranger.
Ainsi, une pulsion pousse les êtres vivants à maintenir leur équilibre biologique, leur structure vivante, à se maintenir en vie. Et cette pulsion va s’exprimer dans quatre comportements de base : 1) Un comportement de consommation. C’est le plus simple, le plus banal. Il assouvit un besoin fondamental : boire, manger, copuler. 2) Un comportement de fuite 3) Un comportement de lutte 4) Un comportement d’inhibition